daudelin

 
EXTRAIT DU TEXTE DE PAUL BOURASSA
Note : L’extrait du texte de Paul Bourassa, Daudelin : entre imagination et fonction, reproduit ici est tiré du catalogue Daudelin publié par le Musée du Québec à l’occasion de la grande exposition consacrée à l’œuvre de l’artiste en 1997-1998.
 
Nous tenons à remercier l’auteur ainsi que le Musée national des beaux-arts du Québec.
 
Les lettres cat. suivies de chiffres (ex. cat. 60 et 61) font référence aux numéros que portent les œuvres dans le catalogue.









DAUDELIN ENTRE IMAGINATION ET FONCTION

Les objets liturgiques et les décors religieux

Paul Bourassa, conservateur des arts décoratifs et du design, Musée du Québec
 
Au début des années 1940, à l'École du meuble de Montréal où il suit des cours du soir, Charles Daudelin fait la connaissance du père Marie-Alain Couturier, qui met alors sur pied un atelier d'artisanat religieux.41 Il n'est pas besoin de rappeler ici le rôle important joué par le père Couturier dans l'avènement de la modernité artistique au Québec.42 C'est lui qui recommande au jeune Daudelin de rencontrer Henri Laurens lors de son séjour à Paris. Déjà, donc, durant cette période cruciale de sa formation, Daudelin était sensibilisé aux valeurs d'un art religieux moderne. À cet égard, le père Couturier professait : Si cet esprit de simplicité et de perfection – tout proche encore – refleurissait dans le Québec, on pourrait alors refaire dans ce pays chrétien un art chrétien : un art sans vulgarité et sans prétention et qui en même temps serait un art vivant. Il suffirait pour cela, comme toujours, de le maintenir dans la vie, dans la vie des gens : l'avenir de l'art chrétien dans ce pays, serait à peu près assuré le jour où les gens des campagnes exécuteraient eux-mêmes pour leur propre église, ce qu'ils savent et peuvent faire.43
 
C'est dans cet esprit que Charles Daudelin entreprend en 1964 de créer la décoration de l'église et les objets religieux pour la paroisse Saint-Jean de Pointe-Saint -Charles, que dessert la communauté française des Fils de la Charité (fig. 13). C'est en effet une véritable entreprise communautaire à laquelle Daudelin participe. Chaque soir, les gens du quartier, travailleurs de modeste condition, viennent à l'église et collaborent aux travaux d'aménagement. Les objets liturgiques en bronze, que l'artiste fait couler à la fonderie Aubertin, sont polis et assemblés à l'atelier d'un des paroissiens. À cette occasion, Daudelin conçoit la réserve eucharistique, les chandeliers d'autel, la lampe de sanctuaire (cat. 115), le chandelier pascal, le bénitier ( cat. 116) et les fonts baptismaux. La description qu'en donne alors Louis-Jacques Beaulieu est éloquente : [Daudelin] domestique le bronze, cet antique matériau, il en fait la pression artérielle de formes conçues pour la vie du croyant. La pesanteur tellurique devient irréelle, seule demeure par l'à-propos des masses et leur signification la quiétude religieuse du temple redevenu vierge de ternissures.
 
Voici la lampe de sanctuaire qui lance symboliquement la lumière par ses dards, les fonts baptismaux qui évoquent la pureté de l'eau par la présence imagée de la source, le porte-cierge pascal planté au socle, le tabernacle dont un élément se meut en ostensoir. Il n'est plus question ici d'ornementation facétieuse, d'étalage orgueilleux mais d'un simplisme sensible dont la rigueur et la franchise ont su rejoindre l'âme populaire. Les oppositions de matière brute et polie du métal, dans le même volume, contrastent avec le dépouillement architectural du lieu et la situation fonctionnelle stricte des éléments tels que l'autel, l'ambon, le baptistère réintégré, le corpus, le siège des officiants (dans une asymétrie organisée pour un rituel repensé). Tout ceci implique une adhésion de l'assistance, une participation vivante à l'office religieux auxquelles la prétention de certains lieux nous avait déshabitués.44
Lampe de sanctuaire, 1964
(cat. 115)
Photos : Musée du Québec : Jean-Guy Kérouac
 
Les objets liturgiques réalisés par Daudelin pour la paroisse Saint-Jean ont joué un rôle déterminant dans la carrière de l'artiste. ll s'agit de sa première expérience avec le bronze. Esquisses et croquis permettent d'arrêter l'idée générale de chaque pièce (fig. 14). ll utilise ensuite la mousse de polystyrène, qu'il sculpte, burine et chauffe pour obtenir des effets de texture qui seront reproduits lors du moulage. Le tabernacle joue, à cet égard, un rôle essentiel dans le développement de sa sculpture. Toutes les œuvres de la période 1965-1967 seront non seulement réalisées selon la même technique, mais procéderont de la même esthétique. Une fois les portes du tabernacle ouvertes, on devine toutes les œuvres conçues à partir de structures en porte-à-faux qui suivront et qui aboutiront à la sculpture du Centre national des arts, à Ottawa. De plus, la formule mise au point, qui allie la fonction de tabernacle et celle d'ostensoir, sera reprise dans plusieurs autres projets de décoration religieuse.
 
Fig. 13. Sanctuaire de l'église Saint-Jean à Pointe-Saint-Charles, 1964.
Aménagement et objets liturgiques de Charles Daudelin.
Photo : photographe inconnu
Fig. 14. Charles Daudelin
Esquisse pour les objets liturgiques de la paraisse Saint-Jean, 1964
Encre sur papier. Collection de l'artiste
 
Bénitier. ostensoir et encensoir, 1967
(cat. 129, 128 et 130)
Photos : Musée du Québec : Jean-Guy Kérouac
Un an après le projet de Pointe-Saint-Charles, Daudelin livre au père Paul Aquin, initiateur du mouvement populaire de messes en plein air le «Bon Dieu en taxi», un ensemble d'objets en bronze pour les célébrations qui doivent avoir lieu dorénavant à l'aréna Maurice-Richard. En collaboration avec l'architecte Marcel Junius, il conçoit l'aménagement d'une tribune démontable où seront célébrées chaque fin de semaine les messes de nuit pour les chauffeurs de taxi. Il réalise également un tabernacle, une lampe de sanctuaire, une piscine, un bénitier, un chandelier et un corpus. Ces pièces sont malheureusement disparues et il n'en reste aucun témoignage visuel.
 
En 1967, c'est la paroisse Saint-Thomas-d'Aquin de Saint-Lambert qui fait appel aux services de Daudelin pour réaliser l'aménagement du chœur de la nouvelle église, œuvre de l'architecte Guy Desbarats. Le mobilier est constitué de masses de béton et de bois, alors que les objets liturgiques toujours en bronze – réserve eucharistique, lampe du sanctuaire, ostensoir (cat. 128), bénitier (cat. 129), encensoir (cat. 130), chandeliers (cat. 131) et fontaine baptismale – adoptent des formes beaucoup plus géométriques, tout en conservant de la production antérieure les surfaces aux textures rongées. Ce passage de l'organique (ou du tellurique au géométrique est également manifeste dans la production sculptée contemporaine de l'artiste.
 
Fig. 15. La chapelle de la résidence Notre-Dame-de-la-Providence, 1976.
Décor et objets liturgiques de Charles Daudelin.
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
L'une des réussites majeures de la décoration religieuse contemporaine au Québec est sans conteste la chapelle de la résidence Notre-Dame-de-la-Providence à Montréal, que l'artiste termine en 1976. Le mobilier du chœur en béton, les bancs de la nef en bois, les objets liturgiques en bronze doré, le plafond avec coupoles suspendues en fibre de verre (réalisé en collaboration avec Jacques Cleary), la verrière de Marcelle Ferron (d'après une idée de Daudelin), tout concourt dans cette œuvre à créer une ambiance propice à la rencontre religieuse (fig. 15). Les mêmes qualités se retrouvent dans un projet plus récent, datant de 1992 : l'aménagement du sanctuaire de la chapelle de la résidence L'Amitié Saraguay, œuvre des architectes Lemay et associés.
 
Pour la chapelle de la résidence Notre-Dame-de-la-Providence, Daudelin réalisera également les stations du chemin de la Croix, quatre ans après la réalisation du décor original. Constituées de plaques de bronze doré et de panneaux de stratifié bleu, les 14 stations couvrent les événements de la Passion du Christ entre la Cène et la Résurrection (cat.150 à 152). Chacune est composée d'éléments schématisés qui deviennent des symboles de l'épisode représenté : pour La Résurrection, un soleil aux rayons asymétriques; pour La Flagellation et le Couronnement d'épines, les lanières d'un martinet et les pointes acérées de la ronce; pour L'Agonie au jardin des Oliviers, quelques tiges feuillues traversant les têtes profilées et un calice. Le cercle et la croix, en tant qu'emblèmes de la divinité, permettent d'unifier les différents épisodes. Afin d'en arriver à ces images fortes, l'artiste a dû formuler plusieurs propositions, retenant de l'une ou de l'autre les éléments nécessaires au résultat final. Pour L'Agonie au jardin des Oliviers, près d'une dizaine d'esquisses (fig.16) montrent l'évolution de la composition : structure d'abord verticale et tripartite – Christ et calice; arbre; apôtres –, puis centrale, d'abord carrée et ensuite circulaire. Certains des éléments développés pour ce chemin de la Croix seront d'ailleurs repris pour le retable de la chapelle du Sacré-Cœur de la basilique Notre-Dame de Montréal.
 
L'Agonie au Jardin des Oliviers
(deuxième station d'un chemin de la Croix), 1980

(cat. 150)
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
La Résurrection
(quatorzième station d'un chemin de la Croix), 1980

(cat. 152)
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
 
Fig. 16. Charles Daudelin
Trois études préliminaires pour «L'Agonie ou Jardin des Oliviers», 1980
Feutre bleu et mine de plomb sur papier calque
20,5 x 30,8 cm env. chacun
Collection de l'artiste
Photos : Musée du Québec : Jean-Guy Kérouac
 
Depuis le Concile de Trente, le catholicisme a placé les manifestations sensibles au centre de l'expérience religieuse, encourageant le culte des images et un rituel liturgique qui fait appel à la richesse de nombreux vases et instruments. Le Concile de Vatican II (1962-1965) transforme la notion d'Église pour en faire un centre moderne de spiritualité. Les modifications apportées à la liturgie – dont la plus notable et la plus connue reste le volte-face de l'officiant par rapport à l'assemblée – ont pour effet de favoriser «une adhésion de l'assistance, une participation vivante à l'office religieux», tel que le soulignait Louis-Jacques Beaulieu à propos des objets réalisés pour la paroisse Saint-Jean. Dans cet esprit, «le modèle de référence devient la salle de spectacle».45 De nouveau, cérémonie et spectacle motivent les œuvres produites par Daudelin dans un contexte de fonctionnalité. Par le symbolisme de certaines formes, par leur pouvoir analogique de connotation et d'ambiance, Daudelin suggère, avec les objets qu'il crée, les valeurs de recueillement et de contemplation qui permettent l'expérience de la transcendance et rendent présent l'indicible. «La qualité religieuse ou profane d'une œuvre résidera toujours dans la qualité même des couleurs, des lignes et des matières employées, c'est-à-dire dans la substance même de l'œuvre d'art », disait le père Couturier en 1945.46
 
La notion de spectacle, qu'elle soit cérémonie, fête ou jeu, nous aura permis d'englober quatre grands champs de la production de Daudelin, tous placés sous le signe de l'imaginaire. Toute la carrière de l'artiste a été jalonnée de ces manifestations qui se situent «entre imagination et fonction ». Même les projets sur lesquels nous n'avons pas porté notre regard, à savoir les quelques céramiques «fonctionnelles» de 1942-1943 (cat. 4) ou de 1955, les maquettes de tapis réalisées en 1947 à Paris, à la demande de Jean-Marie Gauvreau (cat. 41), ou les nombreux trophées et médailles produits à diverses occasions (cat. 138, 147, 149 et 185), ne font que confirmer chez Daudelin les liens qui unissent l'artiste et l'artisan.
 
42. Voir Monique Brunet-Weinmann, «Le Père Couturier au Québec (1940-1941) : un vent de liberté», Revue d'art canadienne/Canadian Art Review, vol. XIV, no 1-2 (1987), p. 151-158. Inversement, on sait aussi à quel point le séjour du père Couturier au Québec a joué un rôle déterminant dans son changement d'attitude vis-à-vis de l'abstraction dans l'art sacré. Voir Marie-Alain Couturier, o.p., «Notes sur l'abstraction» (juin 1945), dans Art et catholicisme, nouvelle édition augmentée, Montréal, Éditions de l'Arbre, 1941 (1945), p. 95-100.
43. Marie-Alain Couturier, o. p.,«Recommencements d'art sacré au Canada» dans op. cit., p. 90.
44. Louis-Jacques Beaulieu, «Daudelin toujours vivant!», Vie des Arts, no 35 (été 1964), p. 61.
45. Gilles Ragot, «De la reconstruction à Vatican Il», dans L'art sacré au XXe siècle en France, Thonon-les-Bains, Société Présence du Livre, 1993, p. 172.
46.
Marie-Alain Couturier, o.p., «Notes sur l'abstraction» juin 1945), dans op. cit., p. 99.
 

 
 
     
 
Toute reproduction ou utilisation d’une œuvre de Charles Daudelin est assujettie à la Loi sur le droit d’auteur.
Quiconque désire reproduire ou autrement utiliser une œuvre doit en faire la demande à la SODRAC (arts@sodrac.ca), qui gère les droits d’utilisation du catalogue Daudelin.