daudelin

 
PROPOS DE LOUISE DÉRY SUR L’ART PUBLIC DE DAUDELIN
Note : Le texte Propos de Louise Déry sur l’art public de Daudelin reproduit ici est tiré du catalogue Daudelin publié par le Musée du Québec à l’occasion de la grande exposition consacrée à l’œuvre de l’artiste en 1997-1998.
 
Nous tenons à remercier l’auteure ainsi que le Musée national des beaux-arts du Québec.
 
Les lettres cat. suivies de chiffres (ex. cat. 60 et 61) font référence aux numéros que portent les œuvres dans le catalogue.
 








Daudelin : l’art dans la ville 
De la pensée sociale à l’art intégré 
Les premières commandes publiques 
Des monuments de fonte et de bronze 
Géométrisation et mouvement 
La ligne et le vent 
Artisan de la ville 

Géométrisation et mouvement

À partir de 1968, Daudelin amorce une importante recherche sur le cube, qu'il a tôt fait d'appliquer à l'échelle monumentale. Le ministère des Travaux publics et Approvisionnements lui confie en 1969 l'aménagement complet d'une place située dans le secteur de la colline parlementaire à Québec, alors en grande transformation. Le projet, complexe, implique la réalisation de plusieurs sculptures, fontaines et éléments d'éclairage dans le secteur de l'édifice G, conçu par la firme Gauthier, Guité et Roy de Québec. À partir d'une forme cubique éclatée selon des configurations variées, Daudelin redessine le volume de la place en y intégrant trois structures en acier Corten. Elles prennent place dans des bassins d'eau quadrangulaires; l'observateur, dont le déplacement activera, a-t-on prévu, les cellules photoélectriques responsables du fonctionnement de l'éclairage et des jets d'eau, peut recomposer virtuellement les différentes parties qui résultent de l'éclatement d'un cube. Trois autres éléments en béton et en acier peint, de dimensions moindres, constituent la solution proposée par l'artiste pour résoudre une exigence technique : elles servent à la fois de bancs et de caches pour les projecteurs et les cellules photoélectriques (fig. 18).
 
Fig. 18. Charles Daudelin, Maquette de «Chaos», vers 1970.
Photo : photographe inconnu
Chaos
Ensemble architectural G,
Colline parlementaire, Québec. 1969-1973
Photo : photographe inconnu
 
1=1+1
Édifice Marie-Guyart,
Coline parlementaire, Québec
1988/89-1996
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
Chaos aura subi, depuis sa réalisation, bien des vicissitudes – rigueurs du climat, problèmes d'entretien, non-fonctionnement des cellules photoélectriques et détérioration prématurée de l'acier. Son histoire mouvementée prend fin en 1996 lorsque l'artiste et la Société immobilière du Québec s'entendent pour aliéner l'œuvre et la remplacer, sur un site voisin, par un nouveau projet, 1 +1 =1.38 Cette solution montre que la permanence d'une œuvre intégrée à l'espace public n'est pas toujours irrévocable et qu'il existe des mécanismes propres à soutenir les droits de l'artiste et ceux du public qui fournit les fonds et à qui l'œuvre est destinée.
 
Il convient de noter que l'idée du cube fractionné continue de prendre forme dans l'esprit de Daudelin, qui termine en 1973 l'Allegrocube, une sculpture animée en métal Muntz39 créée pour le palais de Justice de Montréal. Cette fois-ci, la géométrie du cube est rompue de manière à former deux masses mobiles qui s'ouvrent et se referment au moyen d'un dispositif électronique. En position ouverte, Allegrocube laisse voir ses parois intérieures : «Les deux surfaces ne sont ni concaves ni convexes mais dites "plan gauche" en géométrie spatiale (plus précisément du type des paraboloïdes hyperboliques)».40 Cette courbure des plans droits, qui résulte du passage d'un fil chauffant dans le polystyrène, deviendra une caractéristique de l'œuvre de Daudelin.
 
Allégrocube
Palais de justice de Montréal, 1973
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
La sculpture se détache sur fond d'architecture massive, le long d'une allée piétonnière qui contourne le bâtiment. Elle s'impose aux passants qui peuvent la découvrir en venant de plusieurs directions et s'en approcher sur deux niveaux possibles, celui de la rue ou celui du passage piétonnier. Allegrocube traverse les années sans connaître trop d'altérations, affichant sa rigueur formelle entre l'image de la ville contemporaine et celle du patrimoine architectural dont le contraste distingue ce quartier de Montréal.
 
Daudelin entame les années quatre-vingt en remportant le concours de la place du Québec, à Paris.41 Le projet de sculpture-fontaine, «retenu pour l'originalité de sa proposition esthétique ainsi que les suggestions symboliques qui s'y rattachent»,42 est dévoilé à Paris en novembre 1981 (fig. 19) : «Toute de bronze, cette sculpture-fontaine d'une présentation impressionnante semble se soulever du sol un peu comme la débâcle des glaces (...). Elle il été conçue pour donner l'impression que les dalles de la place ont été soulevées par la force des jets d'eau sortant d'un bassin sous la sculpture».43

Après trois années de travail, Embâcle est finalement inaugurée en octobre 1984.44 Elle occupe une petite place de forme irrégulière de près de vingt mètres sur quinze, au croisement du boulevard Saint-Germain et des rues Bonaparte et de Rennes, au cœur du quartier de Saint-Germain-des-Prés. À la fois aménagement de la place et sculpture sur fond d'eau en mouvement, avec jets et éclairage, cette sculpture, formée de quatre éléments de bronze, recrée l'unité par une sorte de cinétisme virtuel. La conception de l'œuvre a été faite à partir de l'idée de la débâcle au printemps. Les glaces soulèvent le sol, le font éclater. Les jets d'eau semblent tenir les dalles dans l'espace, si elles retombaient, elles reprendraient leur place au sol.45
 
Malgré les contraintes innombrables du site – exiguïté de la place, sous-sol surchargé de canalisations de toutes sortes, échelle environnementale, circulation piétonnière, activité commerciale –, Daudelin se conforme aux exigences du programme et développe son projet selon une configuration horizontale, près du sol. Dans une première maquette de carton, il pratique des plis de manière à faire éclater non pas un volume comme dans Allegrocube, mais une surface. Ces premiers essais, tout en conservant l'intention initiale, connaîtront peu à peu les adaptations requises par la capacité porteuse de la structure d'acier, par l'implantation en sous-sol des systèmes hydraulique et électrique, par la définition du pavage en granit et par la géométrie d'ensemble de la place.
 
Embacle
Place du Québec, Paris, 1984
Photo : photographe inconnu
 
Embâcle s'inscrit dans la continuité formelle de Chaos et d'Allegrocube en portant plus avant les recherches de Daudelin sur la géométrie des formes et sur la dualité entre les vides et les pleins. Ajoutons ici le projet 1+1=1, un concept de 1988-1989 (cat. 166 et 167) qui clôt la réflexion de l'artiste sur le cube et qui se compose de deux cubes d'acier corten formant intersection à la jonction de deux angles enchâssés. Il présente, selon l'angle d'approche, une diversité de plans et d'arêtes, d'ouvertures et de formes, accrue par la réflexion de l'eau qui recouvre la surface de granit noir sur lequel il repose.
 
Pour la sculpture de Paris, le pliage à 90° des rectangles, leur ouverture et leur entrecroisement au-dessus du sol pour libérer les jets d'eau, le soulèvement graduel des dalles et l'absence de margelle constituent un ensemble de stratégies très efficaces pour assurer un lien aisé avec la place. Véritable contraste par rapport aux sculptures d'eau patrimoniales de Paris, l'œuvre de Daudelin appartient dorénavant à son site; si elle se perçoit difficilement à distance, elle se situe à une échelle qui est en affinité réelle avec les passants. Reconnue sur le plan esthétique, mais également en raison d'une originalité fonctionnelle qui résulte de l'absence d'alimentation apparente et de réceptacle de l'eau,46 elle constitue une des étapes marquantes de la renommée de Daudelin.
 
38. L'entente comportait plusieurs clauses, notamment la production d'un cédérom sur Chaos. Ce document a été produit par ARDIM.
39. Le métal Muntz, du nom d'un métallurgiste britannique, est un alliage de 60% de cuivre et de 40% de zinc, qui est laminé en feuilles. Incidemment, les œuvres de Daudelin sont parfois coulées en bronze, parfois réalisées avec du métal laminé.
40. Louise et Charles Daudelin, Allegrocube, tapuscrit, dossier du palais de Justice de Montréal, 1973, archives de l'artiste.
41. Daudelin était finaliste avec Louis Archambault. François Dallegret. Marcelle Ferron et Pierre Granche. Le jury était composé de trois représentants français : Bruno de Saint-Victor, sous-directeur du patrimoine de la Ville de Paris, Claude Charpentier, architecte et directeur du Musée de Montmartre, et Pierre Bas, député du sixième arrondissement de Paris. Louise Letocha, alors directrice du Musée d'art contemporain de Montréal, Julien Hébert, professeur au département de design industriel de l'Université de Montréal, Evans Saint-Gelais, architecte, et Michel Dallaire, designer, complétaient le jury présidé par Yves Michaud, délégué général du Québec à Paris. Voir Marc Morin, «À Paris. Sculpture-fontaine de Daudelin à la Place du Québec», Le Droit, Ottawa, 9 novembre 1981, p. 16.
42. René Viau, «Une fontaine de Daudelin pour la Place du Québec à Paris», Le Devoir, Montréal, 9 novembre 1981, p. 13.
43. Ibid.
44. Lors de l'inauguration d'Embâcle, une exposition sur Daudelin fut présentée à la Délégation du Québec à Paris pendant le mois d'octobre 1984.
45. Charles Daudelin, dossier de la place du Québec à Paris, archives de l'artiste.
46.
Paris et ses fontaines de la Renaissance à nos jours, Paris, Délégation à l'Action artistique de la Ville de Paris, 1995, 318 p. (chapitre sur la création contemporaine par André Hoffman, p. 272).
 

 
 
     
 
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