daudelin

 
PROPOS DE LOUISE DÉRY SUR L’ART PUBLIC DE DAUDELIN
Note : Le texte Propos de Louise Déry sur l’art public de Daudelin reproduit ici est tiré du catalogue Daudelin publié par le Musée du Québec à l’occasion de la grande exposition consacrée à l’œuvre de l’artiste en 1997-1998.
 
Nous tenons à remercier l’auteure ainsi que le Musée national des beaux-arts du Québec.
 
Les lettres cat. suivies de chiffres (ex. cat. 60 et 61) font référence aux numéros que portent les œuvres dans le catalogue.
 








Daudelin : l’art dans la ville 
De la pensée sociale à l’art intégré 
Les premières commandes publiques 
Des monuments de fonte et de bronze 
Géométrisation et mouvement 
La ligne et le vent 
Artisan de la ville 

Des monuments de fonte et de bronze

Poulia
Édifice du gouvernement provincial, Charlottetown, Île-du-Prince-Édouard, 1966
Photo : Wayne Barrett
De 1966 à 1970, Daudelin entreprend d'importants chantiers de sculpture monumentale qui lui réservent une place de plus en plus grande en tant qu'artiste canadien majeur. En 1966, il intègre une œuvre au sein de l'ensemble architectural du gouvernement provincial de l'Île-du-Prince-Édouard à Charlottetown, à l'invitation de l'architecte Dimitri Dimakopoulos qu'il a connu à l'École des beaux-arts en 1965. Il s'agit d'implanter une sculpture dans l'angle d'un bassin quadrangulaire de quinze mètres de côté situé à proximité des deux édifices en béton. «L'architecture étant puissante et sévère, je devais, explique Daudelin, concevoir quelque chose qui soit puissant mais qui puisse en même temps se découper sur ces masses de béton. [ ... ] J'ai travaillé en relation directe avec l'architecte et les formes sont le résultat à la fois du coût des matériaux, de mes contraintes d'atelier, de l'emplacement des édifices, des rapports d'échelle et de la visibilité qu'on peut avoir de la sculpture».28
 
Poulia – qui signifie «oiseau» en grec – est réalisée en fonte de fer. Composée de neuf éléments groupés en trois unités empreintes des caractéristiques lyriques et organiques propres à cette période de l'artiste, elle traduit un désir de rompre l'inertie de la matière tout en conservant à la surface ses qualités d'âpreté et de rudesse. Chaque élément déploie ses masses dans le vide, de façon asymétrique, mais dans une relation d'équilibre et de stabilité qui trouve écho dans le rapport harmonieux entre les vides et les pleins. Cette façon d'ouvrir le métal pour le passage de la lumière et de l'eau marque le style de Daudelin : Tout ce métal vibre : il est minerai, roche, rocher qu'ont perforé les trombes et les érosions ... La construction la plus massive, Daudelin sait la transpercer de vertige, l'envahir d'ondes, la pénétrer de mouvement. Il sait mouler le métal sur l'élan, l'attraction : il sait durcir la coulée en lui gardant son désir polymorphe et fluide, et le feu qui la mouvait.29
 
Les trois segments de la sculpture sont décentrés par rapport au bassin d'eau et c'est par contraste qu'ils s'intègrent fort habilement à la pureté minimaliste de l'architecture et à la configuration rectiligne qui gère l'ensemble de la place. Pour Dimakopoulos, «la sculpture est une sorte de point focal vers où convergent les grandes lignes des édifices».30 Il souligne, dans le même article, le lien chromatique entre la fonte rouillée de la sculpture et la qualité rosée du béton qui résulte d'un agglomérat de sable et de pierre rouge de l'Île. Par ailleurs, comme il s'agit d'une fontaine, l'apport de l'eau entraîne Daudelin vers des considérations qui déboucheront peu à peu sur une recherche de cinétisme et une intégration de mouvements animés. Pour l'instant, Poulia suscite l'enthousiasme de la critique spécialisée, comme en fait foi le commentaire de Patrick Schupp : Cette sculpture-fontaine est aussi lumineuse, et crée des volumes supplémentaires constamment changeants, de par la nature même de l'eau qui, projetée en jets, brisée, modifiée, illuminée, giclante et ruisselante, fait vivre la sculpture droite et solide dans l'espace comme dans le temps.31
 
Polypède
Implanté depuis 1968 devant la faculté de droit de l'Université McGill de Montréal.
Photo : Matthew McLauchlin
Dans des dimensions plus modestes, Daudelin réalise l'année suivante une sculpture destinée au site de l'Exposition universelle de Montréal. Coulée en bronze dans les ateliers de la fonderie Aubertin à Montréal, Polypède démontre des liens compositionnels et stylistiques avec Poulia. Comme la plupart des œuvres d'Expo '67, Polypède sera retirée de Terre des Hommes dès la fin de l'événement pour être installée en 1968, à la suite de l'intervention de l'architecte Gordon Edwards, à proximité de la nouvelle faculté de droit de l'Université McGill à Montréal.32
 
Au même moment, Charles Daudelin s'affaire à réaliser un projet dont l'importance marquera sa carrière au Canada : une sculpture monumentale en bronze pour le Centre national des arts à Ottawa. La compétition avait débuté en 1965, lorsqu'il fut invité, avec onze autres sculpteurs canadiens, à soumettre un projet pour une grande sculpture extérieure placée à l'angle sud-est de la terrasse de l'édifice.33 Une première sélection désigne trois finalistes. Daudelin remporte finalement le concours et s'engage, dès le printemps, dans le long processus de fabrication de cette imposante sculpture.34
 
 
Sans titre
Centre national des arts, Ottawa, 1969
Photo : photographe inconnu
 
Il propose une sculpture qui peut interagir avec le sol et le mur latéral de l'édifice en favorisant des jeux d'ombre. Il prévoit l'effet du soleil le jour et adapte des sources d'éclairage pour la nuit afin de révéler les contrastes entre formes pleines et vides.35 Il élabore le projet à l'aide de plusieurs maquettes en polystyrène expansé, un matériau léger qui donne à la fonderie, selon l'artiste, un résultat très nerveux.36 Il en coule certaines en bronze pour vérifier l'équilibre des formes et atteindre l'aspect recherché (cat. 125 à 127). Il produit finalement un prototype – lui aussi en polystyrène –, à partir duquel la pièce est coulée en bronze en 1968-1969 dans les ateliers de la fonderie Morris Singer de Londres. Une fois installée sur son site, à proximité d'un mur latéral du Centre qui lui fait écran, elle prend possession de l'espace et s'impose au regard. Elle produit grand effet, écrit Guy Viau, et est tout à fait à l'échelle; c'est l'essentiel quand on parle d'intégration à l'architecture. Cette sculpture monumentale est juste de proportions, et, à cet égard, Daudelin, très consciencieux, a pris toutes les précautions possibles. [...] Quant au principe constructif même de l'œuvre de Daudelin, je le trouve honnête, solide : c'est d'un rythme à la fois calme, posé et vigoureux.37
 
Évolution 1, 1967. (cat. 125)
Photos : Musée du Québec : Patrick Altman
L'environnement paysager a connu des transformations depuis l'installation de la sculpture, il y a presque trente ans. La végétation envahit maintenant une partie de l'espace mais l'œuvre de Daudelin, toujours sobre et solide, oppose sa permanence à la nature changeante pendant les quatre saisons de l'année. Elle symbolise les années de bronze de Daudelin et porte incontestablement les traits essentiels de sa démarche.
 
 
 
28. «Un monument de Daudelin pour Charlottetown», La Presse, Montréal, 1er novembre 1966, p. 16.
29. Robert Marteau, «Charles Daudelin conquiert sa liberté», Le Jour, Montréal, 13 avril1974, p. V-6.
30. «Un monument de Daudelin pour Charlottetown», loc. cit., p. 16.
31. Patrick Schupp, «Artistes et architecture. Charles Daudelin», Architecture-Bâtiment -Construction, Montréal, no 254 (juin 1967).
32. Entretien avec l'artiste, 1er mai 1997 et avec Gordon Edwards, 3 juin 1997.
33. Lettre de D. F. Lebensold à Charles Daudelin, 13 août 1965, archives de l'artiste
34. La réalisation de cette œuvre a fait l'objet d'une exposition itinérante intitulée Naissance d'une sculpture, et d'un film de l'Office national du film réalisé par Pierre Moretti, Bronze. Ce film a remporté une médaille d'argent lors de la 9e Exposition du film sur l'art du Festival du film de Venise en 1970. Communiqué de I'ONF, Montréal, 15 septembre 1970.
35. Document non daté, archives de l'artiste, dossier du Centre national des arts.
36. L'atelier de Charles Daudelin, entretien avec Gilles Hénault, Radio Canada, 31 mars 1981, transcription p. 10.
37.
«Le Centre national des arts, Guy Viau répond aux questions de Raymond-Marie Léger», Vie des Arts, Montréal, no 56 (automne 1969) p. 17.
 
 
     
 
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