daudelin

 
PROPOS DE LOUISE DÉRY SUR L’ART PUBLIC DE DAUDELIN
Note : Le texte Propos de Louise Déry sur l’art public de Daudelin reproduit ici est tiré du catalogue Daudelin publié par le Musée du Québec à l’occasion de la grande exposition consacrée à l’œuvre de l’artiste en 1997-1998.
 
Nous tenons à remercier l’auteure ainsi que le Musée national des beaux-arts du Québec.
 
Les lettres cat. suivies de chiffres (ex. cat. 60 et 61) font référence aux numéros que portent les œuvres dans le catalogue.
 








Daudelin : l’art dans la ville 
De la pensée sociale à l’art intégré 
Les premières commandes publiques 
Des monuments de fonte et de bronze 
Géométrisation et mouvement 
La ligne et le vent 
Artisan de la ville 

De la pensée sociale à l’art intégré

Dès ses premières années de carrière, se pressentent chez Daudelin les bases d'une pensée artistique engagée envers l'espace social. Lors d'une entrevue accordée en 1946 à Jean Ampleman, il affirme vouloir «sculpter des œuvres fortes et originales, qui tiennent compte des deux réalités : celle de l'artiste et celle du monde qui l'entoure et où vivent d'autres hommes».9 Il faut croire que la personnalité de Daudelin s'accorde avec une conception de l'art qui participe d'un certain humanisme, ainsi que l'ont relevé à plusieurs occasions les observateurs de l'époque.10 Il s'en explique lors de ce même entretien : Je ne considère pas l'art comme un accessoire agréable de la vie des hommes, ni comme un moyen d'évasion des simples difficultés et des luttes de la vie. Je ne considère pas l'œuvre artistique comme une reproduction exacte de la nature ou comme une pure abstraction du cerveau de l'artiste. Ces deux conceptions sont fausses. Je crois que l'œuvre d'art est la représentation d'un objet tiré de la nature et auquel l'artiste ajoute sa personnalité. C'est le moyen d'expression le plus complet, parce que le plus humain.11
 
Cette philosophie, il l'a probablement affermie auprès de Léger pour qui l'artiste a le pouvoir de contribuer à la qualité de la vie et qui considère l'accession des gens à l'œuvre d'art comme l'un des plus grands défis de l'art du XXe siècle.12 Gilles Hénault a noté ce désir de Daudelin de participer à la construction de la cité, d'œuvrer en fonction d'un environnement urbain ou d'une architecture. C'est le besoin d'élargir la communication entre son travail et les gens qui l'entourent, rapporte-t-il, qui a poussé l'artiste vers la sculpture monumentale.13 C'est également ce qui l'amène, alors qu'il enseigne à l'École des beaux-arts de Montréal, de 1964 à 1968, à mettre sur pied une section d'arts intégrés.14
 
Lors d'un entretien diffusé à Radio Canada en 1981, Daudelin confie à Hénault son plaisir de se promener dans les rues, car c'est une chose qui le touche physiquement. Il va plus loin : « [En faisant] de la sculpture qui participe à la rue, ou à un environnement ou à un édifice, j'ai l'impression que je m'implique plus dans la société».15 Pour le poète Hénault et le sculpteur Daudelin, liés par une longue amitié, le rapport entre l'art et l'art de vivre prend valeur de fondement lorsqu'il s'agit d'imaginer la cité comme lieu habitable et l'artiste comme acteur essentiel du théâtre urbain. «Une sculpture qui s'élève dans un lieu public, écrivait Hénault en 1974, est comme l'affirmation impérieuse, irrécusable qu'il existe d'autres valeurs que la spéculation sur les terrains et le conditionnement fonctionnel des hommes».16 Ce discours prend forme au cœur des années soixante-dix dans un contexte où apparaissent au Québec les premiers signes d'une pensée et d'une politique appelées «cadre de vie», «embellissement» ou «intégration de l'art à l'architecture et à l'environnement».17 Daudelin est un pionnier dans le domaine car, dès la fin des années quarante, tout comme Louis Archambault et un peu plus tard Jean-Paul Mousseau, Robert Roussil et Armand Vaillancourt, il obtient quelques contrats pour la réalisation d'œuvres monumentales intégrées à l'espace public. En l'absence de politiques culturelles qui, à cette époque, pourraient favoriser l'insertion de l'art contemporain dans la société – notons que le Musée d'art contemporain n'est créé qu'en 1963 et que le décret pour une politique québécoise d'art public n'est adopté qu'en 1981 – ces premiers travaux participent à l'émergence de l'art public au Québec.18
 
C'est dans la foulée de la Révolution tranquille que des avancées en matière culturelle marquent les programmes de l'État et favorisent l'essor de la création artistique comme lieu d'expression des valeurs collectives. Le centenaire de la Confédération canadienne et l'Exposition universelle de Montréal en 1967 y contribuent largement par la place privilégiée accordée aux œuvres publiques comme signes visuels de ces célébrations. De nombreux artistes au Canada et particulièrement au Québec, où le site d'Expo '67 est enrichi d'un très grand nombre d'œuvres, obtiennent des commandes. C'est notamment le cas de Daudelin avec Polypède. À ces réalisations, il faut ajouter la production issue de plusieurs symposiums de sculpture tenus au cours des années soixante et soixante dix à différents endroits du Québec.
 
Un examen des premières expériences d'art public réalisées pendant ces décennies permet d'observer une dichotomie propre à la situation québécoise : le concept d'art public dans la perspective d'un lien avec des impératifs sociaux n'a jamais prévalu dans les politiques gouvernementales. Dès l'implantation des programmes, on lui préfère celui d'art intégré à l'architecture et à l'environnement, le terme «public» n'apparaissant que pour qualifier les fonds affectés à ces politiques. En de telles circonstances, il n'y a pas lieu de s'étonner que les artistes de la génération de Daudelin aient évolué dans le cadre de la «politique du 1 p. l00» en articulant une pensée de l'espace physique qui deviendra prépondérante par rapport aux intentions et contenus sociaux.
 
Il faut dire que cette «spécialité» des arts visuels implique une expertise qui va bien au-delà de la capacité à concevoir une œuvre à l'échelle monumentale et à l'envisager dans des rapports cohérents avec l'environnement et avec le public. Le partenariat avec architectes, ingénieurs, urbanistes, entrepreneurs ou autres sous-tend une gamme d'habiletés conceptuelles et logistiques que Daudelin acquiert au fil des années. «J'aime, dit-il, être enserré dans les limites étroites d'un projet comme dans un engrenage... En tant qu'artiste, ce travail m'oblige à discuter avec les architectes, les techniciens en éclairage ou en hydraulique, avec les ingénieurs, sur leur propre terrain. Autrement, je n'aurais aucun contact avec eux. Mais, comme beaucoup d'artistes, je me sens souvent sous-employé et je sais que je pourrais faire davantage».19 Si le débat entourant les liens souvent difficiles entre architectes et artistes a caractérisé la chronique de la «politique du 1 p.100» pendant les années soixante et soixante-dix, il n'en demeure pas moins que ce programme a donné lieu à un véritable effort de synthèse, un des éléments essentiels de la recherche de Daudelin. «C'est mon vœu, confirme-t-il, de travailler en étroite collaboration avec les architectes, étant donné que la sculpture doit faire partie intégrante de l'ensemble du concept architectural».20
 
9. Jean Ampleman, «Une heure avec Daudelin», Notre Temps, Montréal, vol. 1, no 16 (2 février 1946).
10. Notamment Émile Legault dans «Marges du cœur», Les cahiers des Compagnons, 1947, p. 69.
11. Jean Ampleman, «Une heure avec Daudelin», loc. cit.
12. Fernand Léger, «L'art et le peuple (Causeries sur l'art)», Arts de France, Paris, no 6, 1946.
13. Gilles Hénault, «Qui est Charles Daudelin», Culture vivante, Montréal, no 18 (août 1970), p. 42.
14. Les œuvres d'art du ministère des Travaux publics et de l'Approvisionnement ou la politique du un pour cent, Québec, Ministère des Communications, 1981, p. 86.
15. L'atelier de Charles Daudelin, entretien avec Gilles Hénault, Radio Canada, 31 mars 1981, transcription p. 13. 
16. Gilles Hénault, «Lettre à Charles Daudelin», dans op. cit., p. 9.
17. On peut se référer, pour de plus amples renseignements sur la politique du 1 p. 100, à Louise Déry, Art public et intégration des arts à l'architecture au Québec: contextes et créations, thèse de doctorat présentée à l'Université Laval, 1991, XLIII et 360 p.
18. Signalons que, de tout temps, des œuvres d'art ont été intégrées à des lieux publics, comme dans les églises. Nous entendons par «art public» ce champ de l'art contemporain qui s'est développé au Québec dans le contexte des programmes gouvernementaux et des initiatives privées de même nature.
19. Laurent Lamy, «Daudelin. L'art intégré ou la recherche d'un accord total avec le monde», Forces, Montréal, no 18 (1972), p. 47.
20.
«Une commande au sculpteur Charles Daudelin», La Patrie, Montréal, semaine du 29 mai 1966, p. 55.
 
 
     
 
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