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Un exemple des nombreux dessins réalisés à partir de noms d’amis ou de parents |
LES MOTS DE LA FIN
Passage du 2 avril
Charles Daudelin meurt le 2 avril 2001. Il a 80 ans et il vient de passer les dix dernières années de sa vie malade. La souffrance par moment se fait très intense alors que, certains jours, elle le laisse en paix.
Il n’est pas pour autant un malade, il est un homme qui vit, qui regarde en avant et qui conserve ce plaisir de se laisser aller à imaginer, construire, échafauder, concevoir. Difficile d’empêcher Charles Daudelin de rêver.
Il ne peut cependant se contenter de jouer avec les formes dans sa tête, il a besoin de concret, de matière et de lumière. De couleurs également comme en témoignent ces jeux sur le papier tout en courbes et en couleurs vives qu’il crée à
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Charles apporte de retouches à un modèle en cire, 1997
Photo : Isabelle de Blois
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partir des noms d’amis et de parents, et qu’il finit par offrir à ceux qu’il aime. En signe d’adieux, peut-être ?
Plus il se rapproche de la fin et plus les couleurs se font éclatantes, plus les formes deviennent libres. Les formats de leur côté s’en vont en se réduisant, suivant en cela les moyens qui ne sont plus les mêmes : espace restreint parfois d’un lit d’hôpital et mains moins sûres qu’avant. Mais la même douce folie dans l’élan créateur cependant.
Imaginaire à portée de main
Au cours de ces dix années, un peu comme s’il avait besoin de contacts encore plus intimes avec la matière, avec la vie que l’on tient entre ses mains, il se remet à travailler la cire. Plus d’intermédiaire entre l’homme et ce qu’il façonne, module, corrige, lisse. Proximité, sensibilité du travail manuel, immédiateté de la réponse au geste posé. Et tout le temps pour apporter des retouches.
Les formes géométriques et cubiques font carrément place aux courbes, à une occupation différente de l’espace, à des dimensions plus modestes et à un univers de références fort différent. Comme si l’artiste regagnait un territoire familier qu’il avait mis temporairement de côté sans jamais l’avoir abandonné toutefois.
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Charles et Louise Daudelin discutant devant une sculpture en cire, 1997
Photo : Isabelle de Blois
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Il ne retourne pas en arrière, il ne remarche pas dans ses traces, il revisite ce monde imaginaire qui de tout temps l’a habité. Un monde intérieur qui fait davantage référence à l’inconscient que ce qu’il a généralement réalisé dans ses œuvres d’art public.
Une grande liberté dans les thèmes retenus, qui empruntent à l’univers animal et humain. Toujours une ode au féminin, mais également une attention plus marquée que jamais au masculin. L’artiste serait-il porté davantage à cette étape-ci à jeter un regard sur lui-même ?
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Un aperçu de la maquette pour la sculpture Hommage à Claude Jutra, 1996
Photo : Michel Brault
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Organique, sensuel, le plaisir des sens est mis à contribution. Le toucher tout particulièrement : celui du sculpteur d’abord, puis le nôtre lorsque, pour notre plus grande joie, nous répondons à l’invitation du sculpteur à l’imiter.
Daudelin renoue alors, pourrait-on dire, avec une approche plus classique de la sculpture : cire-fonderie-bronze. Il se rapproche ainsi de ce lui qu’il a toujours voulu être, un artisan.
Et la vie de continuer
Une dernière décennie au cours de laquelle événements et projets se bousculent.
Encore des concours et des projets
Daudelin continue d’animer la place publique et d’investir de nouveaux lieux : le cimetière Mont-Royal avec Hors du temps, l’édifice Marie-Guyart, sur la colline du Parlement à Québec, qui accueille 1+1=1, le parc Claude-Jutra à Montréal, dans lequel prend place Hommage à Claude Jutra, et la place de la Gare à Québec avec cette imposante sculpture-fontaine, Éclatement II.
De grandes expositions... et des catalogues
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Page couverture de Charles Daudelin, L’avenir retrouvé ou la résurrection des rêves, Les 400 coups, 1998 |
Deux expositions majeures viennent coup sur coup souligner la présence toujours active de l’artiste. La première intitulée simplement Daudelin a lieu au Musée du Québec en 1997-1998 et la seconde Charles Daudelin : l’avenir retrouvé à la galerie Simon Blais, qui ouvre ses portes quelques jours seulement après que la rétrospective à Québec eut reçu ses derniers visiteurs.
Ces deux expositions vont être l’occasion idéale de publier deux catalogues de factures très différentes et, pourrait-on dire, complémentaires. Jamais jusqu’à ce jour, Daudelin n’aura été aussi bien servi que par ces publications qui tracent un portrait bien documenté de son travail.
Daudelin sur les écrans
Et puis, un peu comme si on s’était donné le mot, deux documents audiovisuels voient le jour au cours également de 1997-1998. Un CD-ROM, Chaos redevenu virtuel, réalisé par Réal Léveillé, suit le parcours d’une œuvre monumentale et d’avant-garde pour l’époque, Chaos, installée dans la cour intérieure de l’ensemble architectural G à Québec. Le mouvement des piétons qui circulent entre les différents éléments de l’œuvre actionne jets d’eau et projecteurs. Cette sculpture-fontaine
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Boîtier du documentaire Charles Daudelin, des mains et des mots de Richard Lavoie, 1998 |
environnementale passa sous le chalumeau des démolisseurs avant même qu’elle n’atteigne ses vingt-cinq ans. L’année suivante, un moyen-métrage de Richard Lavoie, Charles Daudelin, des mains et des mots, nous ouvre les portes de l’atelier de l’artiste, qui joint le geste à la parole en nous permettant de l’observer dans son travail.
Reconnaissance de dernière minute
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Charles Daudelin est reçu Grand Officier de l’Ordre national du Québec en 1998
Photo : Daniel Lessard
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Simple concours de circonstances ou sentiment d’urgence devant la course inexorable du temps, toujours est-il qu’en très peu de temps l’on souligne magistralement la contribution de l’artiste à la société montréalaise et québécoise. En 1995, l’homme, qui a maintenant 75 ans, est proclamé Grand Montréalais puis, en 1998, il reçoit le titre de Grand Officier de l’Ordre national du Québec. Fort heureusement, Charles Daudelin n’a pas attendu ces prix ou honneurs pour croire à la pertinence et à la qualité de son travail.
Pourtant, il y a eu des périodes de doute et de questionnement. Des moments où il s’interrogeait sur la place de l’artiste dans la société, sur sa place dans l’espace public. Peut-être était-ce le prix à payer pour ce choix de vivre en solitaire, en marge d’un certain milieu et sans présence assidue dans les galeries.
Douter, mais jamais au point de s’enfermer dans l’amertume, et aussi toujours prêt à se réjouir lorsqu’il était l’objet de témoignages de reconnaissance.
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