Une réponse à un profond besoin
« L’art public a certainement correspondu à quelque chose de très profond chez Charles », explique Louise Daudelin, la femme de l’artiste. Pour quelqu’un chez qui le doute ne se cachait jamais bien loin, l’art intégré à l’architecture, comme on l’appelait au début, dans les années 1960 et 1970, a permis à Daudelin, au cours de plusieurs périodes de sa vie, de chasser les angoisses. Une fois le concours remporté et le contrat signé, le sculpteur a un but, des échéances à respecter, une équipe avec laquelle travailler, des contraintes avec lesquelles composer, un projet à défendre et à livrer. Et quand Daudelin a trouvé le filon et dessiné les esquisses, il acquiert une telle confiance en lui qu’il sait se faire passablement décidé et persuasif.
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Le sculpteur travaillant à la sculpture du Centre national des Arts à Ottawa en 1968
Photo : Hugh Frankel
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Il aime relever les défis propres à toute démarche d’intégration, qu’il s’agisse du choix des matériaux, de l’espace au sol à occuper, des rapports entre le bâtiment et l’environnement, et même des questions de budget, qui l’obligent à être à la fois inventif et pratique. Nous pouvons dire alors que l’artiste joue et qu’il prend d’ailleurs un énorme plaisir à jouer... avec la lumière, les éléments de la nature, la perspective, la matière, de même qu’à jongler avec des notions de mathématiques, de géométrie, de propriété des différents matériaux, d’ingénierie et d’architecture. Tout cela guidé, la plupart du temps, par son instinct et son expérience. Et quand il a besoin de faire confirmer une intuition, une idée, une notion, il n’hésite pas à faire appel à un spécialiste en la matière.
L’artiste ne cesse de jouer avec des concepts, d’esquisser, de projeter ses idées dans l’espace, de dessiner, de fabriquer des prototypes ou des modèles en papier, en carton ou en polystyrène et de réaliser des maquettes. Daudelin parle avec ses mains, s’exprime avec le dessin et s’anime vraiment avec les formes, les trois dimensions, expliquera Janos Baracs, ingénieur en structure, qui travailla avec le sculpteur à différents projets, dont celui de la place du Québec à Paris,
Embâcle, et celui du Musée d’art de Joliette,
Spirale logarithmique. La revue
Topologie structurale, publiée par le groupe de recherche du même nom sous la direction de Janos Baracs, fait état de la démarche de l’artiste dans la réalisation de ces deux projets, notamment.
L’ART PUBLIC ET L’ART DE SE FAIRE DES AMIS
Nous ne le dirons jamais assez, l’art public a toujours été une stimulation pour Daudelin. Devant l’« obligation » de se mettre à la tâche et d’abandonner le rêve, ce monde imaginaire dans lequel il aime tant se retrouver, l’artiste est heureux. Car voilà que, face à lui, il trouve de quoi s’amuser et une motivation supplémentaire pour se mettre au travail. Pendant des mois, voire plus, il sera absorbé totalement par la réalisation d’un projet dans lequel il a tout mis. Son esprit et son corps sont accaparés par un seul projet, mais par une multitude de considérations et d’exigences. Les questions lourdes à porter sur le rôle de l’artiste et sur sa place dans la société n’ont plus cours. Il sait pourquoi il est là et il a un but précis.
De plus, il ne travaille plus seul dans son atelier. Il a des comptes à rendre, des choix à défendre et des collaborateurs avec qui partager. Pendant toute cette période d’échanges avec les architectes et les compagnons de travail qui matérialiseront le projet dans leur atelier d’usinage, Charles Daudelin se sent en famille. Une deuxième famille avec laquelle il partage bien plus que le travail. Il fait lui-même une analogie avec les liens que tissent les comédiens alors qu’ils montent une pièce ou tournent un film. Pas étonnant, dans ces conditions, que l’artiste se fasse d’abord des amis parmi les artisans qui exécuteront ses sculptures et les architectes avec qui il réalisera ses projets d’intégration.
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Opération de pliage sous la supervision de l’artiste à l’atelier Beaugrand à Montréal vers 1991
Photo : Loto-Québec, Pierre Villeneuve
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Son objectif étant toujours de « se fondre dans l’architecture, explique sa femme, Louise. Il ne cherche jamais à se mettre à l’avant-plan. L’intégration, il y croit profondément, elle le motive. Aucune raison pour autant de se sentir la vedette ». Il défendra son idée, trouvera les bons arguments, mais ne tentera pas d’imposer sa vision. Il sait faire montre de souplesse et est très bien capable d’écouter. Il doit tenir compte des attentes du « client » et savoir respecter les valeurs de chacun, sans jamais sacrifier quoi que ce soit cependant à ses convictions. Ses réalisations dans le cadre de l’art religieux sont de bons exemples d’« accommodements raisonnables » de la part de ce « croyant libre penseur ». Il saura également se faire très discret quand le projet à ses yeux le demande, comme ce fut le cas pour celui de la station Mont-Royal du métro de Montréal en 1966, dans lequel il intègre aux murs de la station 32 joints verticaux en aluminium texturé.