daudelin

 
PROPOS DE LOUISE DÉRY SUR L’ART PUBLIC DE DAUDELIN
Note : Le texte Propos de Louise Déry sur l’art public de Daudelin reproduit ici est tiré du catalogue Daudelin publié par le Musée du Québec à l’occasion de la grande exposition consacrée à l’œuvre de l’artiste en 1997-1998.
 
Nous tenons à remercier l’auteure ainsi que le Musée national des beaux-arts du Québec.
 
Les lettres cat. suivies de chiffres (ex. cat. 60 et 61) font référence aux numéros que portent les œuvres dans le catalogue.
 








Daudelin : l’art dans la ville 
De la pensée sociale à l’art intégré 
Les premières commandes publiques 
Des monuments de fonte et de bronze 
Géométrisation et mouvement 
La ligne et le vent 
Artisan de la ville 

Daudelin : l’art dans la ville

Louise Déry, commissaire invitée
 
A une architecture aveugle, Daudelin oppose une sculpture ouverte; à la masse immuable des murs, il ajoute une construction qui donne l'inquiétante impression d'être en équilibre instable, afin de créer un environnement dynamique.
Gilles Hénault, L'atelier de Charles Daudelin, 1981
 
«Quand j'étais chez mes parents à Granby, raconte Charles Daudelin, je me souviens d'avoir organisé toute ma pièce et de m'être fait une sorte d'environnement.1 Cette information n'est pas anodine. Elle traduit le réflexe d'un esprit attentif aux principes d'intégration des formes et de l'espace et annonce une attitude où pratique artistique et rapport à la vie se définissent conjointement. La recherche de Daudelin, de ses débuts jusqu'à ce jour – depuis l'œuvre conçue en lien étroit avec ce qui l'entoure jusqu'à la maison-atelier dont il a pensé les moindres aspects – est fondée sur une esthétique de l'espace.
 
Au cœur des années quarante, il signe un premier commentaire sur l'intégration de l'art et de l'architecture, où se révèlent un sens critique quant à la situation contemporaine et un engagement envers le défi à relever : «Nous voudrions, écrit-il, que naisse le goût d'une architecture logique et pure, que la peinture et la sculpture soient coordonnées à cette sévérité. On aborde le vingtième siècle comme une corvée, au lieu d'y bâtir la beauté d'aujourd'hui et celle de demain».2 Nous sommes en mars 1945. Charles Daudelin, âgé de 25 ans, ouvre son exposition de peinture au Collège de Saint-Laurent. Le critique Maurice Gagnon, attentif à ce «talent de Granby» et à cette jeune carrière qui s'amorce, lui accorde son soutien. Il est d'ailleurs l'un des tous premiers à nous renseigner sur les débuts de l'artiste dans le domaine des arts de l'espace : Malgré son âge, la maison N.G. Valiquette, de Montréal, n'hésitait pas cet hiver à confier à Charles Daudelin la décoration d'une pièce entière de son établissement où les murs s'ornent de peintures murales qui sont en harmonie avec les meubles d'enfants qui s'y trouvent. Daudelin a déployé sur ces murs une grande candeur en illustrant les thèmes familiers des contes d'enfants qui ravissent ceux-ci d'aise et emballent les parents qui achètent des ensembles de meubles, portés par la joie de ces couleurs fraîches qui jettent tant de lumière et de bonheur dans cette pièce.3
 
Nous n'avons plus trace de cette réalisation destinée à orner temporairement l'un des rayons du magasin. Il s'agit cependant d'une des premières commandes faites à Daudelin, qui renouvelle l'expérience quelques années plus tard avec la décoration intérieure de la maison du Dr Émile Quenneville à Granby4 et les murales de la Taverne Peel à Montréal. Entre-temps, il se rend à New York et fréquente Fernand Léger au cours de l'été de 1944. Pendant environ un mois, il lui rend visite «à peu près tous les jours», s'intéressant particulièrement à ses projets «de décors et de grandes toiles»; il rencontre chez lui Jacques Lipchitz, qui travaille à une étude de monument pour le Brésil, ainsi que Zadkine, alors absorbé dans la conception «de grands projets de monuments qui, de son propre avis, ne seront jamais réalisés».5 Il découvre également au Musée d'art moderne de New York un théâtre miniature avec des personnages construits et habillés par Léger, Chagall et Calder. C'est son ami, le critique Éloi de Grandmont, qui rapporte ces informations pour les lecteurs du Devoir, énonçant du même coup les premiers enthousiasmes de Daudelin pour l'art muraliste, la sculpture publique et les travaux à petite échelle. D'autres sources nous renseignent sur les artistes et architectes qu'il admire à cette époque : outre Fernand Léger et Henri Laurens, qu'il rencontrera deux ans plus tard à Paris, on mentionne les noms de Braque, Matisse, Miro, Le Corbusier et Marcel Parizeau.6
 
Les projets de décor, que Daudelin réalise avec les Compagnons en 1945-1946, lui permettent d'élaborer petit à petit une méthode de travail qui diffère très peu de ce qu'il fait alors en peinture : il produit plusieurs esquisses à l'aquarelle ou à la gouache, dessine au trait de plume et multiplie les tentatives afin que naisse, de l'exploration visuelle et plastique, un concept approprié. À petite échelle, il se familiarise avec le travail en maquette, élaborant lignes, formes et couleurs aux dimensions de la main, mais développant ce don si particulier de voir et d'imaginer en fonction de l'espace réel. Ces' expériences montrent bien l'intérêt de Daudelin pour le monde littéraire, la construction plastique, le mouvement des formes et des couleurs, l'espace architectural et le public. Il développe ainsi un esprit multidisciplinaire, mettant à profit diverses aptitudes acquises dans sa jeunesse.
 
Pendant les années quarante, l'esthétique de Daudelin se forme sur la base d'aptitudes pour le travail multidisciplinaire. Ses modèles – Fernand Léger, par exemple – incarnent cet esprit d'un art global et intégré pouvant trouver un écho possible dans tout ce que la vie déploie. À cette enseigne, peinture, sculpture, mais aussi décors, meubles, costumes et marionnettes lui procurent, au fil de ces années, des défis d'expérimentation sans cesse renouvelés. À travers ces multiples voies, il apprend à travailler différentes échelles, il touche une gamme très variée de matériaux et se familiarise avec de nouveaux procédés de fabrication. Il développe ses concepts à partir d'esquisses, de dessins et de maquettes, cherchant les bons rapports de proportion, la meilleure mesure et le plus juste équilibre, habile à traduire des qualités de monumentalité même à l'échelle de la maquette.7 «Tes sculptures, lui dira Gilles Hénault, sont des œuvres de plein air, sous leur double aspect formes et proportions, ce qui fait que la plupart de tes maquettes sont déjà des monuments».8
 
1. L'atelier de Charles Daudelin, entretien avec Gilles Hénault, Radio Canada, 31 mars 1981, transcription, p. 8.
2. Daudelin 1945, Montréal, Collège Saint-Laurent, mars 1945, n.p. (texte de présentation de Maurice Gagnon et texte de Charles Daudelin).
3. Maurice Gagnon, «Un talent de Granby», La Voix de L'est, Granby, 5 mai 1943.
4. Eloi De Grandmont, «Daudelin. Prix de peinture», Le Canada, Montréal, 17 avril 1946.
5. Propos de Charles Daudelin dans Éloi De Grandmont, «Les beaux-arts. Les "retour d'Europe" et les futurs “retour de New-York"», Le Devoir, Montréal, 17 juin 1944.
6. Éloi De Grandmont, «Daudelin. Prix de peinture», loc. cit.
7. Gilles Toupin, «L'épopée de Charles Daudelin. 40 ans de création au Musée d'art contemporain», La Presse, Montréal, 30 mars 1974, p. D-16.
8.
Gilles Hénault, «Lettre à Charles Daudelin», dans Charles Daudelin, Montréal, Musée d'art contemporain, 1974, p. 9.
 
 

 
 
     
 
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